Elle n'a jamais osé poser la question mais s'est toujours demandée à quoi pouvait bien ressembler l'accouchement d'une vélane. Deux harpies en pleurs, un monstre donnant naissance à un autre monstre. Inspirer du dégout dès le premier jour de son existence, voilà quelque chose qui vous lance une vie plein pot. Pas étonnant que de cet instant, ses parents n'aient rien conservé. Ni video, ni photo, ah si, un bracelet de naissance laissé à l'abandon au fond d'une boîte, en compagnie d'une mèche de cheveux de nourrisson et d'une première dent de lait. Un soupir file entre ses lèvres alors qu'elle referme lentement le tiroir du buffet. Était-elle un bébé si horrible pour que ses parents n'aient quasi aucune photo de la maternité ?

Bien entendu elle était trop jeune pour s'en souvenir mais de ce qu'elle peut lire sur ses vieux bulletins de notes de ses années maternelles, elle a toujours été une enfant entourée. " Populaire, toujours prête à aider ses camarades, intelligente, gentille, polie, ... " Ses sourcils se froncent alors qu'elle continue de lire les commentaires élogieux de la maîtresse. Elle tourne les pages et jusqu'à l'école primaire, c'est toujours le même baratin. " Gentille, douce, populaire " ça ne lui ressemble pourtant p- ah ! Un sourire apparaît sur ses lèvres, elle vient de comprendre. S'attirer la grâce des professeurs avec ses pouvoirs, c'est pas joli-joli Rina ... Elle le sait, ses parents le lui ont assez dit : elle a toujours été solitaire. Dans ses jeunes années elle a bien essayé d'attirer les autres enfants avec son charme de vélane mais ses crises de colère mal contrôlées et ses transformations finissaient toujours par les effrayer. Elle soulève entre ses doigts une fine gourmette en or, assez grande pour un poignet d'enfant, à l'intérieur il est écrit " beauty is only skin deep. " Relire ces quelques mots suffit à lui faire monter les larmes aux yeux. Heureusement, qu'il y a sa mère pour la soutenir et la comprendre dans ce qu'elle endure. Elle a toujours été de bon conseil et si Rina a réussi à avancer, c'est grâce à elle. Avec précaution, elle range le bijou dans sa poche, c'est peut être aujourd'hui qu'elle en a le plus besoin.

Ah, elle avait oublié le visage de sa première vraie " meilleure amie " et cette photo trouvée dans un vieil album la lui rappelle. Une autre vélane, tout comme elle, sur qui son pouvoir ne fonctionnait évidemment pas. Voilà pourquoi elle parle de " vraie " amie, cette fois, elle était à cent pour cent sûre de sa sincérité. C'est à peu près à partir de ses onze ans que Rina a commencé à bien comprendre son don et à s'en servir correctement. A cet âge là, une vélane ne donne pas " envie " aux autres, comprenez bien qu'avant la puberté elle n'attire pas " physiquement " les gens qui l'entourent mais plutôt dégage une sorte de charisme, de sympathie qui fait que la plupart de ses camarades auraient rêvés faire partie de ses amis. Avec le recul, quand elle y pense, ça a sûrement été la plus belle période de sa vie. Quand les choses étaient encore simples et pouvaient se régler avec une poignée de bonbons.

Inutile d'être surdoué pour comprendre que le moment le plus difficile pour une vélane reste l'adolescence. De base les hormones des garçons travaillent, mais imaginez ce que ça peut donner avec Rina dans le coin. C'était franchement atroce de devoir gérer ses problèmes de jeune fille en plus de ceux causés par ses prétendants. Une année. Elle a tenu une seule année et c'était déjà trop, en témoigne son ancien journal intime qu'elle tient dans les mains. " Je me déteste. Je veux mourir. Je suis un monstre. Pourquoi moi ? " Les doigts tremblants, elle a encore du mal aujourd'hui à relire ces lignes. Ses doigts passent lentement sur le papier, sûrement gondolé à cause des larmes. Heureusement que ses parents ont pu réagir rapidement et lui faire prendre des cours par correspondance.

Et ce n'est qu'à ses 22 ans que Rina retrouva le chemin de l'école dans une université pleine de promesses, comme le stipulait la lettre de bienvenue qu'elle est en train de relire. " Nous sommes forts, tous et chacun. " Le pire, c'est qu'elle y a cru, à ces belles paroles, ces promesses d'égalité, d'entraide, de " savoir pour tous ". La blague.


Il va de soi que quand on est vélane et qu'on veut avoir une vie à peu près normale, on évite d'en faire trop et même si Rina est très féminine elle a su mettre de côté les tenues courtes et les talons hauts. Son souhait le plus cher : ne pas se faire remarquer. Elle a passé plusieurs années loin des garçons de son âge et ce " retour à la civilisation " a été plutôt brutal. Elle qui s'attendait à pouvoir suivre des cours tout en passant totalement inaperçue ... Et bien c'est raté. Avec l'âge son charme a amplifié et comme si on ne la remarquait pas assez on lui a imposé une robe d'un bon violet criard pour marquer sa différence. Non sérieusement, une pancarte " REGARDEZ MOI JE SUIS PAS COMME VOUS ! " aurait été plus discrète. Enfin. Maintenant c'est fait, c'est fait. Sauf que la demoiselle est plus que jamais sur la défensive, même si elle essaye de faire confiance, elle ne sait jamais si l'affection qu'on lui porte est sincère ou si son pouvoir y est pour quelque chose. Doucement, elle essaye de se faire à la fatalité que ses relations, amicales ou amoureuses ne seront jamais normales ... Doit-elle en tirer parti ?

« ah ! te voilà, te voilà, je t'attendais. on m'avait prévenu que tu passerais. viens, viens ici, je crois que je sais exactement ce qu'il te faut... mais n'oublie pas, c'est la baguette qui choisit son sorcier, pas le contraire. »