D’aussi loin que je me souvienne, dans tous mes souvenirs il y a ce petit village tranquille de campagne. La forêt sombre et menaçante derrière le joli manoir familial de bois blanc, au grand jardin à l’abandon, qui portait encore les traces d’un cauchemar dont il ne s’était jamais totalement réveillé. La chambre au papier peint fleuri, qui sentait le renfermé, la lavande et la folie, de ma mère. Belle, pâle, l’esprit ailleurs. Mon oncle figé dans ses glorieux dix-huit ans. Pâle lui aussi, mais vaporeux, fantomatique. Le visage sauvagement lacéré. Et puis il y a la vieille dame. Gentille, au regard pétillant, que j’appelais grand-mère ; il y avait toujours un sourire sur son visage ridé. Le curé de la petite église, grisonnant, squelettique, le visage marqué, mais bienveillant comme un parent. Presque toujours accompagné par cette bonne sœur au visage sévère, mais qui savait si bien faire des gâteaux. La folle de la forêt, transparente, inconsistante, complètement défigurée, très mauvais caractère. Et sans oublier Patin, le chiot, mon compagnon qui me suivait partout.
S’aurait presque pu être un petit tableau de famille tranquille et parfait. S’aurait dû l’être. Ca l’a été d’ailleurs, il y a longtemps. Il faisait bon vivre ici, autrefois. La vie y était parfaite. Quand le manoir était toujours en effervescence et qu’il y avait encore des fleurs à perte de vue dans le jardin, mais… vous les avez peut-être déjà remarquées. Les erreurs qui se sont glissées dans le paysage. Le temps s’est figé à cet endroit, il y a un peu plus de trente cinq ans de cela, lors de cette soirée d’été cauchemardesque que certains ont surnommé « les sanglantes fiançailles »… Celles de ma mère. Où toute la famille Baek, celle du fiancé, et les invités ont trouvé la mort. Massacré par une seule personne. Non. Pas une personne. Une bête. Un monstre…
Fin des années 1800. Les Baek, un couple de sorciers que d'aucuns parmi leurs pairs considéraient comme excentriques à cause de leur amour démesuré pour les moldus et leurs inventions, décident de s'installer dans un petit village de moldus dans un coin reculé du pays. Pour mieux se fondre parmi les habitants, ils choisirent de délaisser la magie et de vivre comme de simples moldus. Ils montèrent un petit business qui devint vite florissant et bâtirent leur demeure un peu à l'écart du village, à l'orée d'une vaste et luxuriante forêt. Ils y menèrent une petite vie simple et tranquille. Et bien que parfois considérés comme un peu bizarres, les Baek attiraient la sympathie et étaient relativement appréciés de tous.

Et puis, quelques générations plus tard… Baek Oberon, un arrière-petit fils du couple qui a hérité de leurs talents magiques, épouse Lee Jin Young. Une douce et charmante moldue. Le couple eut deux enfants qui les comblèrent de bonheur. Un garçon d’abord. Puis une petite fille. Regulus et Flora. Deux petits sorciers comme leur père. L’un éclatant comme un jeune lion, l’autre, douce et délicate comme une fleur. Les deux enfants grandirent sans manquer de rien. Ni d’amour, ni de confort dans leur petit cocon familial. Et bien qu’ayant des personnalités relativement différentes, ils étaient très proches. Fusionnels.
Mon oncle adorait sa sœur. Il me décrivait souvent la jeune femme de ses souvenirs. Douce, au rire facile. Plus belle et plus gentille que n’importe qui. Facile à aimer. Elle aimait la vie. Elle avait tout pour elle. Sa vie était parfaite. Elle était jeune et amoureuse, et elle était aimée en retour. Elle allait se fiancer avec l’homme qu’elle aimait. Et puis plus tard elle l’épouserait, après leurs études. Ils n’étaient pas pressés. Ils avaient toute la vie devant eux. Mais la vie ne va pas toujours comme on l’aimerait. Qui aurait cru alors que les « pour toujours » et le futur seraient sectionnés par la lame aiguisée d’une vie courte et d’une tragédie. Qui aurait cru qu’un conte de fée pouvait aussi brutalement tourner au cauchemar ?

C’était au début de l’été de l’année 2022, lors d’une soirée chaude et tranquille du mois de juillet. Ma mère et son petit ami avaient décidé d’officialiser leurs fiançailles. Une petite fête, dans le jardin, juste la famille des deux tourtereaux et quelques amis proches. Fête qui était bien partie pour se prolonger jusque tard dans la nuit, quand la lune serait haute dans le ciel. Ma mère était rentrée se changer parce qu’elle avait tâché sa robe avec du vin. Mon oncle s’en souvient bien. Comme si c’était hier. Un fantôme n’oublie jamais le jour, ni la manière dont il est mort. « Si seulement on avait fait plus attention en choisissant le jour. A la lune… Si seulement on s’était aperçu plus tôt de l’absence trop longue de ma sœur n’était pas normale… Peut-être que rien de tout cela ne serait arrivé. » m’a un jour dit mon oncle qui n’a jamais cessé d’être hanté par les regrets, comme lui hante ces murs. Je ne sais pas si cela aurait vraiment changé quoique ce soit, mais quoi qu’il en soit, ce soir-là personne dans la liesse générale ne remarqua l’ombre qui s’était faufilée à l’intérieur du manoir. Et quand la silhouette encapuchonnée pénétra dans la chambre de ma mère, celle-ci ne chercha pas à se défendre. Ou plutôt, l'idée ne lui traversa même pas l'esprit. Elle était trop surprise pour cela. Parce que la figure qui venait d'apparaitre, ce visage, elle les connaissait bien. Tout du moins, elle en avait connut le propriétaire, avant. Tout comme mon oncle. Un sunbae d'Akiwa avec qui ils avaient été amis ; un jeune homme doué et charismatique qui nourrissait l'ambition de devenir Auror tout autant qu'il nourrissait des sentiments à l'égard de ma mère, d'après les dires de mon oncle. Et un puis un jour, pendant des vacances, la presse sorcière leur appris que son père était mort et sa mère dans le coma. Et lui n'était plus jamais revenu en cours et n'avait jamais répondu à aucune lettres que lui avait continuellement envoyé ma mère pour prendre de ses nouvelles. Il était facile à présent de rassembler les pièces du puzzle, de savoir ce qui était arrivé à ses parents et pourquoi il n'était plus revenu à l'école. Et c'était très certainement là, aussi, que l'origine de la tragédie prenait ses racines. Si ma mère ne lui avait pas écrit de lettre, peut-être qu'il ne se serait pas raccroché à elle. Peut-être que cela n'aurait pas alimenté la flamme. Si ma mère ne lui avait pas écrit cette dernière lettre qui disait qu'elle allait se fiancer avec l'amour de sa vie, alors peut-être... peut-être que ses sentiments ne seraient pas devenus quelque chose d'autre. Une sombre, distordue, hideuse obsession aux pulsions destructrices. Peut-être, peut-être pas. Qui sait ? Les suppositions ne permettent pas de changer le passé, mais une chose était sûre alors : « De la personne que nous avions connu, il ne restait plus rien. Plus rien d'humain. Il était devenu une bête sauvage acculée et enragée. Un dangereux fou furieux qui ne reculerait devant rien... » Alors, quand il l’a immobilisée, bâillonnée et plaquée sur son lit, ma mère n’a rien pu faire. Il était trop fort et trop rapide pour elle. Et elle resta impuissante quand il lui susurra des mots qui arrachèrent des frissons d’horreur et firent monter des larmes dans ses yeux terrifiés qui le suppliait silencieusement. Et puis, quand — sang rouge sur peau d’ivoire — il la viola. Et sous le couvert des murs, de la musique, des rires, des bruits de la fête au-dehors, personne ne se rendis compte de rien…
Le reste se passa relativement « vite », parce que le temps était compté. Se serait bientôt l’heure des loups. Alors, une fois son affaire terminé, il se saisit à nouveau de sa victime avec force, sans la moindre délicatesse, et transplana, emmenant avec lui ma mère jusqu'à sa « tanière ». Là, il lui passa le fer à la cheville pour qu’elle ne puisse s’échappe et reparti en lui disant de l’attendre bien sagement. Qu’il ne serait pas très long. Qu’il avait des choses à faire. Des gêneurs à éliminer. Et qu’après ils auraient tout leur temps, rien que tout les deux. Au manoir, trop emportés par l’ambiance festive, lorsque l’on remarqua enfin l’absence trop longue de la jeune femme, il était déjà trop tard. Sous les premiers rayons lunaires, la figure qui émergea de la demeure n’était pas celle de la fiancée. Aucun des sorciers présents n’était armé de sa baguette. Parce c’était une fête. Parce qu’il y avait des moldus. Et des sorciers mineurs. Parce que ce genre de choses n’était pas censé arriver. Alors sous la lune ronde et pâle l’homme devint bête. Alors sous la lune impassible et impitoyable commença un festival de l’horreur. De chair, de sang et d’os. De cris et de terreur.

Au petit matin tout était fini. Le silence était retombé. Les jolies nappes blanches et les personnes avaient été peintes de rouge. Tout le monde était mort. Même les quelques rares qui, comme mon oncle, avaient réussi à survivre à l’attaque initiale ont fini par succomber à leurs blessures parce que les secours n’ont que trop tardés. Dans son sillage meurtrier, la bête avait fait trois autres victimes, toutes moldues. Mais aucune trace du responsable du massacre. Il s’était volatilisé. Et il fallut plusieurs semaines à la brigade de police magique avant de finalement retrouver sa trace, débusquer le loup dans sa tanière et « sauver » ma mère. Chose somme toute des plus ironiques puisque, des suites de cette tragédie, y avait-il seulement encore quelque chose ou quelqu’un à sauver ? Au fond que restait-il si ce n’est un grand vide et des blessures qui ne guériront jamais ?
Ma mère était peut-être vivante, le meurtrier de sa famille derrière les barreaux, mais à quel prix ? Elle avait perdu tous ceux qu’elle aimait. Son monde était en pièce et il est difficile d’imaginer l’horreur qu’elle a dû vivre entre les mains de son bourreau. Et même si elle était intacte physiquement — parce qu’il avait bien fait attention à ne jamais la blesser pour ne pas l’infecter et parce qu’il la préférait jolie et fragile, comme une poupée — son esprit, lui, était brisé.
Ma mère était peut-être vivante, le meurtrier de sa famille derrière les barreaux, mais à quel prix ? Elle avait perdu tous ceux qu’elle aimait. Son monde était en pièce et il est difficile d’imaginer l’horreur qu’elle a dû vivre entre les mains de son bourreau. Et même si elle était intacte physiquement — parce qu’il avait bien fait attention à ne jamais la blesser pour ne pas l’infecter et parce qu’il la préférait jolie, humaine, fragile, comme une poupée — son esprit, lui, était brisé. Elle restait hagarde, apathique et durant tout le temps où elle resta à l’hôpital pour se « remettre », la seule chose qu’elle réclamait jamais était de pouvoir rentrer à la maison. Même si on lui répétait qu’elle n’avait plus vraiment de maison, qu’il n’y avait plus personne. Elle semblait ne pas encore tout à fait réaliser ce qui c’était passé. Ou alors, à ce moment-là, pensait-elle encore que si elle reniait les faits suffisamment fort, qu’elle pourrait les effacer. Qu’elle pourrait se réveiller de son cauchemar et que tout rentrerait dans l’ordre. Sans doute cherchait-elle juste une excuse pour ne pas sombrer totalement dans la folie.

[uc]

« ah ! te voilà, te voilà, je t'attendais. on m'avait prévenu que tu passerais. viens, viens ici, je crois que je sais exactement ce qu'il te faut... mais n'oublie pas, c'est la baguette qui choisit son sorcier, pas le contraire. »