Comme chaque matin, depuis quelques jours, je me lève, soucieux de la journée à venir. Depuis que l’incendie a ravagé l’université, je ne parviens plus à dormir, en tout cas, pas aussi bien que dans le passé. Cette histoire me turlupine & me rend insomniaque. De plus, ma dose de travail à l’université n’a fait qu’accroitre, m’interdisant, indirectement, de me rendre sur mon autre lieu de travail, qui est la radio. Certes, mon directeur a su comprendre ma situation actuelle, mes états d’âme, mais je sais qu’à tout moment, il peut décider de me licencier, d’où la pression en plus, en dehors des problèmes liés à l’université. Mes idées ne sont plus claires depuis cet évènement & je ne cesse de me ressasser la journée, qui avait paru si normale au début. J’ai le sentiment d’être lié à cette affaire, j’ai la vague impression que tout cela est de ma faute, même si ce n’est, fort heureusement, pas le cas. J’ai la sensation d’avoir manqué à mes responsabilités de surveillant. Je sais pertinemment qu’à ce moment-là, je ne pouvais être à deux endroits à la fois, être dans le réfectoire à observer les derniers élèves, écoutant attentivement ou non, le discours du directeur & être dans les couloirs à surveiller les moindres faits & gestes paraissant étranges ou encore anormaux. Comme toutes les personnes de l’université, j’ai été traumatisé par cet incident, accidentel ou volontaire, & j’ai dû suivre, pendant quelques jours, un suivi psychologique. Mais malgré cette ‘’aide’’, je fais toujours des cauchemars, j’ai toujours ce sentiment de culpabilité, de peine intense. Je tente de ne pas le montrer aux élèves de l’université, je tente de garder le sourire devant eux, de paraitre heureux, mais ce n’est qu’un masque pour cacher mon terrible tourment. Etant surveillant dans cette université & étant très jeune, je connaissais presque tous les élèves, je croisais une grande partie des élèves, je discutais souvent avec eux, je partageais une certaine complicité avec eux & en un seul jour, en quelques heures, j’ai perdu une grande partie de ces élèves, une grande partie de mes ‘’amis’’, de ce fait, je ne peux être qu’affecter par cela. Parfois, lorsque je me promène dans les couloirs, dans certains lieux, quelques flashs me reviennent, quelques visages disparus refont surface & de nouveau, je sens cette grande vague m’envahir & me détruire peu à peu l’âme. Je me dis que j’aurai pu en sauver une grande partie si j’avais été plus vigilant, si je n’étais pas resté dans le réfectoire, à fixer les derniers élèves. J’aurai dû pressentir que quelque chose de terrible allait arriver, mais je n’ai rien senti, je me suis contenté de rester dans ce fichu réfectoire, je me suis contenté, lors de l’incendie, de les amener à l’extérieur, de les calmer, de les rassurer. Peut-être qu’en agissant de la sorte, de manière très calme, flegmatique, j’en ai sauvé certains, mais j’aurai pu en sauver d’autres, c’est ce que je me dis à chaque fois que je me lève & à chaque fois que je me couche.

Aujourd’hui, samedi, est un jour comme les autres. Je porte encore une fois ce masque placide, dépourvu de culpabilité, comme si tout allait bien, dans le meilleur des mondes. Je salue les étudiants, discutent avec eux, les surveillent de près comme de loin, une journée banale aux yeux de tous. Tout en marchant dans les couloirs, je croise une amie d’enfance, la fille d’un ami à mon père. Cela fait quelques jours que je ne l’ai pas croisé & d’après les dires de mon père, elle aurait été gravement blessée pendant l’incendie, sortant tout juste de l’hôpital. En la voyant, souriante, je me sens de nouveau coupable & j’ai terriblement envie de la prendre dans mes bras pour la rassurer & pour m’excuser, de manière indirecte. Néanmoins, je ne fais rien de tout cela & je décide de prendre de ses nouvelles, de parler avec elle, de manière totalement normale. Je ris, lui frotte les cheveux, comme d’habitude. C’est alors, que pendant la conversation, je sens un regard insistant dans ma direction. C’est là que j’aperçois Hyung Jun, mon protégé préféré. Je suis heureux de le voir en bonne santé, semble-t-il. Je me contente de lui faire mon plus beau sourire, mais au lieu de me répondre en souriant, ou par un geste, il tourne les talons, & fuit, tout en me lançant un regard de reproche. Sur le coup, surpris, je ne comprends pas sa réaction. Qu’ai-je fait pour qu’il décide de m’ignorer de la sorte ? Comme si j’avais fait quelque chose de mal. Je sens ma poitrine qui se serre & je me dis que la cause est certainement due à l’incendie. Il me rend probablement coupable de ce qui s’est passé & quelque part, il a bien raison. Je pourrai simplement le laisser m’en vouloir, le laisser me détester, mais je n’ai pas envie, quelque chose me pousse à le poursuivre. C’est donc sans attendre que je m’excuse auprès de mon ami & que je cours après lui, le suivant à la trace.

Essoufflé, je finis par le retrouver, adossé à un arbre, recroquevillé sur lui-même. Je me pince la lèvre supérieure. Il doit vraiment beaucoup m’en vouloir & je dois certainement lui rappeler de mauvais souvenirs. Je ne sais plus si je dois faire un pas vers lui. Hésitant, mon corps répond tout seul à mon incertitude. Je m’assois donc près de lui, restant un moment silencieux. Je ne sais pas quoi dire, je ne sais même pas pourquoi je l’ai suivi. Je ne sais pas si je dois le prendre dans mes bras, si je dois rester ainsi, assis à côté de lui, si je dois parler, je ne sais plus comment agir devant lui.

« Je suis . . . désolé Hyung Jun » dis-je d’une voix tremblante.

Je ne sais pas comment je peux le consoler, ni comment lui faire comprendre que je suis vraiment désolé pour cet incendie. Je ne suis pas certain que cela soit pour ça qu’il m’en veuille, mais je suis à 80% sûr que c’est pour cette raison. J’ai peur d’être maladroit avec lui.

« Je pense que tu m’en veux beaucoup . . . mais . . . je . . . j’espère que tu pourras me pardonner du fait que je n’ai pas su vous protéger ! »

Tremblant, je mis ma main sur la sienne, la serrant fort contre ma paume.